Les publications dans la protection intellectuelle

Les avantages de déposer une marque sur sa raison de commerce

La Suisse est un pays très prisé pour créer une entreprise, comme en témoigne la progression de 3 % du nombre d’enregistrements de nouvelles raisons de commerce au cours des neuf premiers mois de l’année 2019. Néanmoins, statistiquement, peu de nouveaux propriétaires d’entreprises pensent à protéger leur raison de commerce en l’enregistrant comme marque.

Combiner l’enregistrement d’un nom commercial avec une marque est pourtant une stratégie judicieuse pour défendre l’identité d’une entreprise. La raison de commerce constitue le premier niveau de protection, lequel prend effet à la date de publication dans le registre suisse. Aux termes de l’article 951 du Code civil suisse, « la raison de commerce d’une société commerciale ou d’une société coopérative doit se distinguer nettement de toute autre raison de commerce d’une société commerciale ou d’une société coopérative déjà inscrite en Suisse.» Le droit de la concurrence déloyale s’applique également par application de l’article 3, paragraphe 1, alinéa (d) de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale, lequel dispose comme suit : «agit de façon déloyale celui qui, notamment, prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui».

Cependant, il est particulièrement difficile d’évaluer si une raison de commerce se distingue nettement de celle de toute autre entreprise en raison du manque de cohérence des décisions rendues par le Tribunal fédéral suisse. En théorie, le risque de confusion doit être examiné en fonction du droit des marques. Toutefois, dans la pratique, il semble que les décisions dépendent des circonstances de l’affaire. Du point de vue du droit des marques, les tribunaux devraient accorder une attention égale aux aspects visuels, phonétiques et conceptuels des signes lorsqu’ils les analysent pour déterminer leurs similitudes. Mais en ce qui concerne les raisons de commerce, le Tribunal fédéral considère que les aspects phonétiques et conceptuels sont plus importants que les aspects visuels et en outre, accorde plus d’attention aux éléments purement descriptifs (arrêt 4A_125/2019 du 16 juillet 2019, Altrimo AG/Atrimos Immobilien GmbH).

Dans une décision récente (arrêt 4A_541/2018 du 29 janvier 2019), le Tribunal fédéral a écarté le risque de confusion entre les raisons de commerce SRC Wirtschaftsprüfungen GmbH et SRC Consulting GmbH, considérant que l’acronyme SRC comme faiblement distinctif et retenant une impression d’ensemble différente entre ces deux noms en raison de la présence des termes « Consulting » et « Wirtschaftsprüfungen » (« audit » en allemand). Les deux sociétés étaient actives dans le même domaine (services de conseil) et étaient situées à Kreuzlingen en Suisse alémanique. Cette décision illustre que le Tribunal fédéral sous-estime parfois le risque d’association entre deux raisons de commerce.

Lorsque la raison de commerce d’une société a été invoquée au soutien d’une action judiciaire nécessitant de déterminer le risque de confusion, il apparait que les tribunaux ont pris en compte certains facteurs qui ne devraient pas être considérés comme pertinents.

Par exemple, les tribunaux ne sont pas tenus en principe de prendre en considération l’emplacement du siège social de l’entreprise, mais c’est pourtant régulièrement le cas. Il en va de même pour les activités des sociétés concernées, alors qu’en Suisse, le principe de spécialité ne s’applique pas en ce qui concerne les conflits entre raisons de commerce.

Ainsi, le risque de confusion n’a pas été reconnu entre les raisons de commerce suivantes :

  • Altrimo AG pour des services financiers et et Atrimos Immobilien AG pour des services immobiliers (Tribunal fédéral, arrêt 4A_125/2019 du 16 juillet 2019)
  • Arveron SA et Arveyron-Rhône Sàrl pour des services immobiliers (Tribunal fédéral, arrêt 4A_167/2019 du 8 août 2019)
  • SRC Wirtschaftsprüfungen GmbH et SRC Consulting GmbH pour du conseil aux entreprises (Tribunal fédéral, arrêt 4A_541/2018 du 29 janvier 2019)
  • Pachmann Rechtsanwälte et Bachmann Rechtsanwälte AG pour des services juridiques (Tribunal fédéral, arrêt 4A_83/2018 du 1er octobre 2018)

Dans ces affaires, le risque de confusion aurait probablement été admis du point de vue du droit des marques.

La jurisprudence récente fait ressortir l’existence d’une incertitude juridique quant à la défense des raisons de commerce, lesquelles bénéficient d’une protection moins étendue que les droits de marque.

Les critères de défense des marques sont bien établis grâce à une jurisprudence importante, et ceux-ci sont appliqués de manière plus homogène et prévisible par le Tribunal fédéral. Dans certaines circonstances, les marques déposées postérieurement peuvent empêcher l’utilisation de raisons de commerce antérieures en relation avec certains produits et/ou services couverts par la marque protégée, ceci conformément à l’article 14 de la Loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance. Enfin, selon le type de société, l’étendue de la protection du nom de la raison de commerce peut être limitée localement. En revanche, les marques ont des effets juridiques sur l’ensemble du territoire suisse.

Au vu de ce qui précède, la meilleure approche consiste donc à envisager globalement la protection du nom de l’entreprise, car les droits de marque et les raisons de commerce confèrent deux types de protection différentes et sont complémentaires. Pour ces deux types de protection, la même stratégie est recommandée lorsqu’il s’agit de choisir un nom commercial : plus le nom est distinctif, plus son champ de protection sera large et plus il sera facile à défendre contre les copies. La date du dépôt de la marque et la date d’inscription de la raison de commerce jouent également un rôle déterminant. En particulier, il peut être pertinent de déposer une marque avant d’inscrire un nom commercial afin de bénéficier d’une protection plus rapide et plus importante que celle dévolue à une raison de commerce. Pour ce faire, il est possible de déposer le nom de l’entreprise comme marque au nom du propriétaire ou des copropriétaires, puis de céder cette dernière à l’entreprise après l’inscription de la raison de commerce.

Isabelle Bruder, Juriste en propriété intellectuelle
9 avril 2020

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